Peut-on rendre compte du travail ?

Parce que je suis sensible aux problèmes des archivistes, j'ai participé avant-hier au concours lancé par Archives Online. Il s'agissait de proposer une image représentant les transformations du métiers d'archiviste. Je n'ai pas pu m'empêcher de faire un petit commentaire relatif à la sociologie du travail. Simplement pour dire qu'il devient de plus en plus difficile de rendre compte de ce que font les travailleurs à l'heure où, de plus en plus, les activités deviennent homogènes d'une profession à l'autre. Je reprends ça là-dessous.



Cette photo, tirée de la série Les Simpson, illustre parfaitement l’image encore couramment attachée aux archivistes, un stigmate avec lequel la profession n’a pas fini de se battre. Et, paradoxalement peut-être, les évolutions du métier n’y changeront pas grand chose, bien au contraire. Car pourquoi cette représentation de l’archiviste comme quelqu’un qui travaille dans la poussière et les vieux papiers est-elle si puissante ? Pas seulement à cause des nombreuses représentations qui peuvent avoir cours dans les médias et ailleurs, mais aussi et surtout parce qu’elle est aisément descriptible et compréhensible. Vus de l’extérieur, les archivistes ressemblent de plus en plus aux autres professions : ils participent à des réunions, sont installés devant des ordinateurs où ils manipulent des logiciels austères, ils « gèrent de l’information », discutent de « compétences », organisent des « systèmes »… Rien qui ne soit très clair pour le profane : le contenu de leur travail est devenu difficile à dire simplement et à expliquer, il est devenu difficile d’en rendre compte. Tandis que celui qui manipule de grands parchemins ou des textes en latin, vu de l’extérieur, fait quelque chose de plus précis, de plus clair, de plus facile à classer : on voit bien ce qui le différencie des autres travailleurs. C’est sans doute pour cela que l’image de l’archiviste restera encore pour longtemps celle-là, comme l’enseignant restera celui qui professe devant un auditoire silencieux, le commercial celui qui essaye de refourguer un produit, le policier celui qui court après le voleur… quelque soit le contenu réel de leurs activités. Les clichés ont la peau dure!

Ajoutons en complément que cette situation n'est pas sans conséquences pour les nouveaux venus sur le marché du travail. Il est très difficile aujourd'hui d'expliquer à un élève de lycée quel peut être le contenu de telle ou telle profession. Lors des conseils de classe dans mon établissement, les projets professionnels les plus courants concernent des professions souvent bien identifiées : on veut être avocat, assistante sociale, infirmier, etc. Des professions où l'on peut "voir" ce que les gens font. Il est beaucoup plus difficile d'amener les élèves à envisager des métiers plus classiques des entreprises - sauf peut-être "commercial" choisi souvent par des garçons intéressés par la rémunération et persuadé qu'il s'agit de "savoir vendre" tout et n'importe quoi. Cette situation découle sans doute de ce fait simple qu'il est difficile pour un lycéen de comprendre ce que ces messieurs sérieux font sur leurs ordinateurs...
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3 commentaires:

Emmanuel a dit…

Bonjour, je rejoins tout à fait votre analyse : mon frère est archiviste (facile), ma femme vétérinaire (encore plus simple) et je suis... chef de projet, la profession la plus vague. Je passe des coups de fil et bosse sur un ordinateur.

Deuxième point, conscients de ces problèmes de visibilités, certaines institutions mettent en place des outils pour que leurs lycéens se rendent mieux compte de la réalité des métiers qui s'ouvrent à eux. Je connais celui de la Picardie, mais d'autres doivent exister : http://www.planetemetiers.picardie.fr/

Jérôme a dit…

Tu soulèves là une question essentielle. La place, faible, voire inexistante, d'une certaine sociologie du travail (celle qui se préoccupe des activités, observées au quotidien) dans l'enseignement en SES et en sociologie en général. Celle-ci a, me semble-t-il, un rôle important à jouer pour "donner à voir" ce qu'est un métier. Surfacing the invisible work, disait joliment Susan Star qui nous a quittés cet été.
D'ailleurs, c'est plus généralement le rôle de l'ethnographie, comme opérateur de mise au jour de la fabrique concrète du social (très différent du "dévoilement" de structures...) qui est en jeu.
Montrer et raconter des gens qui travaillent

Romain a dit…

Effectivement, c'est une question qui mérite qu'on se penche dessus.
Je me souviens d'une prof de maths qui disait qu'on ne connaît un métier que lorsque l'on est dedans. Et plus j'avance, plus je me dis que c'est vrai.
Je ne suis pas enseignant chercheur, mais pas tout à fait étranger au milieu étant étudiant en master recherche, et j'ai entendu lors d'un cours la remarque assez édifiante d'un étudiant qui disait : "après le master, je ne veux pas faire une thèse, je veux travailler".
Comme disait Desproges on dirait moins de conneries si l'on ne parlait que de ce que l'on connaît...

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